La place Louise Michel à Belsunce, un renouvellement de l’espace public entre logiques participatives et institutionnelles

photo essay

Les espaces publics semblent être une chose rare à Marseille : comme nous l’a expliqué un représentant de l’agence d’urbanisme de Marseille (AGAM), au cours des siècles, la ville s’est restreinte à sa surface de 24 hectares, et n’a cessé de se reconstruire sur elle même, tandis que la plupart des aménagements publics se sont faits à Aix. Les espaces publics existants prennent alors une grande importance pour les Marseillais, c’est le notamment le cas de la place Louise Michel dans le quartier de Belsunce (photo). Place non officielle, issue de la destruction du bâti par des bombardements de la seconde guerre mondiale, elle est notamment un lieu de rencontre pour les Chibanis, hommes originaires du Maghreb, venus travailler en France lors des Trente glorieuses. Il s’agit donc d’un lieu de vie et de sociabilité, comme le montre la présence sur la photo de plusieurs personnes en train de discuter et d’échanger. Dans un quartier dense où l’espace public est assez restreint, cette place constitue aussi l’un des rares endroits où l’on peut profiter du soleil, ce qui renforce son attractivité.

Un projet de requalification local

Cet espace est caractérisé par son statut informel ; jusqu’à une période très récente la place n’avait même pas de nom, d’après le site du Collectif Etc. Elle constituait alors un quadrilatère fermé au nord par le mur aveugle d’un immeuble, où étaient disposés quatre palmiers en pots et deux bancs, un mobilier urbain assez spartiate. Considérée comme abandonnée par les pouvoirs publics, cette place a fait l’objet d’un projet de renouvellement par des commerçants locaux et par le comité de quartier. Ce projet a été construit avec l’aide de deux associations : le Collectif Etc, association née à Strasbourg mais basée à Marseille depuis 2014, qui rassemble architectes et collaborateurs autours de projets et d’expérimentations en intégrant la population locale au processus créatif ; et le Bureau de l’Envers, né à Marseille et constitué d’architectes qui s’intéressent aux interstices et espaces négatifs de la ville, et qui souhaitent agir en amont de la commande architecturale.

Cette initiative, qui avait pour objectif de remettre en état et d’aménager la place a cependant rencontré l’opposition de la mairie, rappelant que les interventions privées étaient interdites sur l’espace public, et que le quartier allait faire l’objet d’une renouvellement urbain dans les années à venir. Un projet de rénovation urbaine avait en effet alors été établi par le GIP Marseille Rénovation Urbaine, en lien avec l’opération Euroméditerranée visant à donner un nouveau visage à la ville. Après négociations, la requalification de la place par les acteurs privés a pu avoir lieu. Prévu pour être temporaire,et disparaître lors de l’opération de renouvellement urbain, ce projet a permis aux habitants de se réunir et à l’espace de changer de visage, s’inscrivant ainsi dans une dynamique actuelle de production d’espace public par des logiques participatives dans un contexte de crise et de difficultés de l’aménagement par les institutions. Des contreforts en bois et une fresque, situés à droite de l’image agrémentent désormais la place. Le projet a aussi été l’occasion de nommer la place, appelée place Louise Michel du nom d’une célèbre communarde, décédée à quelques rues de là. La présence d’hommes du quartier et de Chibanis montre que les usagers de la place ont pu se la réapproprier.

Un renouvellement urbain par le haut

Cependant, cette requalification par le bas est toujours remise en question par la ville. Un grand panneau en bordure de la place rappelle l’imminence des travaux sur l’îlot, qui viendront bientôt modifier l’image du quartier. On ne peut alors que souligner la difficulté des rapports entre les acteurs institutionnels et la société civile à Marseille. Le fait que nombre de projets soient portés par des collectifs d’habitants lassés d’attendre l’intervention des pouvoirs publics, mais aussi peut-être une certaine difficulté des acteurs institutionnels à proposer des projets rencontrant l’accord des populations locales montrent bien le contexte tendu dans lequel prend place le renouvellement urbain marseillais. Ainsi pour la Soleam, société locale d’équipement et d’aménagement de l’aire marseillaise, en charge de ce projet, la place pose problème et «exige» une intervention. Ainsi, « l’utilisation d’une parcelle transformée en espace public par de nombreux habitants, bien qu’elle soit issue des bombardements de la dernière guerre et ne soit pas aménagée » mais aussi «les difficultés de circulation liées à un stationnement sauvage quasi permanent…» constituent les principales motivations officielles de ce renouvellement.

À l’origine, le projet de la Soleam incluait la construction d’un immeuble sur cette place, ce qui aurait conduit à la disparition de l’espace public. Grâce à l’implication des acteurs locaux, un sondage de proximité en faveur de plusieurs scénarios a finalement été réalisé par la Soleam dans l’après-midi du 17 décembre 2012. C’est celui de l’aménagement de la place sans reconstruction d’immeuble qui a remporté l’écrasante majorité des suffrages. En effet, sur les 160 personnes qui se sont mobilisée pour le sondage, 118 auraient voté en faveur de cette solution, alors que seules 41 personnes ont choisi l’aménagement avec construction d’un d’immeuble, montrant combien les habitants tiennent à préserver leur espace public. En 2013, c’était donc la création de la place, et non sa transformation en espace bâti qui était annoncée par la ville. Comme souligné par l’association Un centre ville pour tous, dans un entretien, le sondage a cependant des limites : il est moins un outil de concertation que validation d’un projet établi pour les acteurs institutionnels.

Le terreau à la concertation était pourtant bien présent avec les actions des habitants et des collectifs. Pourquoi alors la ville n’a-t-elle pas cherché à soutenir cette initiative locale et à la prolonger, plutôt que d’imposer son projet? Le fait que ce quartier soit paupérisé et puisse constituer un quartier tremplin, lieu d’arrivée de nombreux migrants joue sans doute un rôle. Pour l’association Arène, Marseille est une ville de tradition contestataire, où « la participation et la concertation ne sont pas très porteuses électoralement et politiquement »: il y a un certain nombre de blocages entre habitants et institutions. Les acteurs institutionnels semblent craindre les habitants et considèrent la concertation comme un espace de révolte et de protestation laissé aux habitants. Ainsi, certains projets urbains semblent plus relever du contrôle de l’espace public que de sa construction. A Belsunce, la question se pose alors de savoir si les populations locales pourront se réapproprier un espace qui leur aura été imposé.

Juliette Suc

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Webographie

Article Des travaux à la place des autorités, Amandine Rancoule, journal 20 Minutes
http://www.20minutes.fr/marseille/804972-20111013-travaux-place-autorites

Article La production participative d’espaces publics temporaires en temps de crise, le projet « Pla Bluits » à Barcelone, Paula Orduña-Giró & Sébastien Jacquot, Métropolitiques
http://www.metropolitiques.eu/La-production-participative-d.html

Document de Marseille sur l’opération Grand centre-ville
https://www.marseille.fr/sitevdm/document?id=13405&id_attribute=48

Document de l’ANRU sur la ZUS centre nord
http://www.marseille-renovation-urbaine.fr/uploads/media/MRU-panneau-100×200-centre-nord.pdf

Site du Collectif Etc, consulté le 09/01/2016
http://www.collectifetc.com/realisation/belsunce-tropical/

Site du Bureau de l’Envers, consulté le 09/01/2016
http://cargocollective.com/lebureaudelenvers/Louise-Michel

Site de la Soleam, consulté le 09/10/2016
http://www.soleam.net/pole-korsec-lavis-des-habitants

Site de Territoire Collectif, consulté le 09/10/2016
http://territoire-collectif.com/marseille/actions/atelier-aere-2/

Vidéo de la chaîne lcl,
http://video-streaming.orange.fr/actu-politique/la-place-louise-michel-de-belsunce-bientot-officielle-marseille-VID0000000QqRR.html