Montchat, la densification problématique d’un quartier « villageois »

Le quartier de Montchat, situé dans le troisième arrondissement de Lyon, à la limite avec les villes de Villeurbanne et de Bron dans l’est lyonnais, est un territoire caractérisé par des spécificités architecturales et des traditions de sociabilité qui font qu’il est perçu et vécu comme un quartier à part au sein de l’agglomération lyonnaise (source : C.T, 2015, « Chères petites maisons », L’Expansion, 1 février 2015). Néanmoins, il est actuellement sujet à d’importantes transformations urbaines : de manière générale, les maisons de villes du quartier tendent à disparaître au profit d’immeubles d’habitations. Nous avons pu nous en rendre compte en nous rendant directement dans le quartier, au cours d’une « balade urbaine » durant laquelle nous avons réalisé un travail de photo-observation des transformations en cours. Ce constat de départ, largement relayé par la presse, nous a ensuite conduites à nous interroger sur la manière dont ces bouleversements sont perçus, anticipés et commentés par l’ensemble des acteurs concernés.

Il s’agit d’abord des élus municipaux, qui doivent composer avec la nécessité du développement urbain, largement relayée par les promoteurs qui ont investi le quartier, au fort potentiel de densification, étant donné sa faible densité actuelle. Mais ils doivent également composer avec les forces de résistance à ces changements, qui viennent alimenter un discours axé sur la protection du patrimoine et de l’identité de quartier. Cette résistance est portée principalement par deux types d’acteurs : l’opposition politique d’une part (actuellement au parti les Républicains face à la mairie socialiste), et des associations d’habitants de l’autre, dont le Comité d’intérêt local (le CIL).

Nous avons centré nos interrogations sur l’inscription spatiale et visuelle indubitable des opérations immobilières dans l’espace matériel du quartier, et sur l’ensemble des discours qu’elles suscitent, et qui alimentent des débats dont on retrouve également la trace dans l’espace urbain, qu’il s’agisse de promouvoir ou de contester la densification. En quoi la densification du bâti dans le quartier de Montchat, dans ses conséquences spatiales et visuelles, est-elle sujette à controverses, entre des acteurs porteurs de projets de rénovation d’une part, et des défenseurs d’un cadre de vie caractérisé par une identité architecturale spécifique d’autre part, et comment ces controverses structurent-elles des discours et des registres d’argumentation opposés ? En nous appuyant sur une revue de presse composée de 27 articles ainsi que sur des entretiens réalisés avec une élue municipale, un opposant à la mairie du 3e arrondissement, un membre du CIL ainsi qu’un couple d’habitants de Montchat, nous reviendrons tout d’abord sur les spécificités architecturales et socio-culturelles du quartier, puis nous nous pencherons sur les opérations de densification et leur justification par les acteurs municipaux, pour enfin analyser les discours de contestation et leur conception du quartier.

Localisation du quartier (cliquer pour agrandir)

En préambule : un corpus photographique

1. Montchat, un quartier unanimement décrit comme « typique », à l’esprit « villageois »

Le quartier de Montchat s’est développé au début du XIXème siècle, grâce à la politique urbaine d’Henri Vitton, maire de la commune indépendante de la Guillotière, et de sa fille et son gendre, Richard-Vitton, qui entreprennent le lotissement de son domaine privé autour du château de Montchat. Le quartier se dote rapidement de maisons individuelles huppées, ainsi que de pavillons plus modestes, entre la route de Genas et l’avenue Lacassagne, jusqu’à la limite de la commune de Lyon. Montchat apparaît sur les cartes et plans de la ville à partir des années 1870, avec un plan en damier de Morrans semblable à celui de l’ensemble de la rive gauche du Rhône (Mme. Clémençon, 2014).

Les opérations actuelles de densification de l’habitat y sont sujette à contestation, mais le quartier est unanimement décrit comme un « typique » et à l’esprit « villageois ». Ce discours unanime est tenu à la fois par les habitants, qui y vivent, le pratiquent, et qui ont pour la plupart choisi ce quartier pour ces caractéristiques ; par la municipalité, qui compose l’urbanisme en fonction des particularités du quartier ; mais également par les promoteurs et la presse, qui apportent un regard extérieur au quartier, à destination d’un large public.

Il s’agit ici de montrer que le discours consensuel sur Montchat porte avant tout sur « un esprit villageois », qui désigne aussi bien une morphologie urbaine particulière que des pratiques urbaines. Il est cependant intéressant de voir que la réalité de cet esprit villageois devient davantage un élément de discours, au fur et à mesure des opérations immobilières qui modifient le quartier.

1.1 Petites maisons et faibles densités : une morphologie urbaine particulière

1.1.1. Un patrimoine architectural « typique »

La morphologie particulière de Montchat, avec ses maisons bourgeoises anciennes et ses pavillons plus modestes, se double d’une architecture bien reconnaissable. Le patrimoine architectural n’est pas ici monumental ou public, mais principalement constitué de grandes villas du XIXème siècle, entourées d’un parc arboré, et de pavillons modestes des années 1930 (photographie 1 et 2), ce qui fait de Montchat un des quartiers de Lyon le plus doté en maisons individuelles.

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L’habitat individuel, grandes villas et pavillons, sont essentiellement présents en cœur d’ilots, où la hauteur du bâti et les densités sont plus faibles, tandis que les grands axes qui délimitent le quartier, route de Genas et avenue Lacassagne, sont marqués par de l’habitat collectif plus élevé. De nombreuses petites places (place Ronde, place des Poilus, place Henri…), ainsi que les espaces verts (parc Bazin, parc Chambovet) constituent des espaces publics qui donnent un caractère « aéré, apaisant et agréable » au quartier, selon M.. Bérat..

Les élus de la mairie du 3e arrondissement, Mme Panassier, 4e adjointe au maire du 3e arrondissement, et M. Bérat, conseiller municipal d’opposition, citent unanimement les éléments principaux de cette architecture ancienne et typique : les murets et les glycines des maisons bourgeoises du xixe et xxe siècles, tout en soulignant « qu’il ne s’agit que de détails, mais les habitants y sont attachés ». L’identité architecturale du quartier est d’ailleurs reproduite dès que possible dans les constructions neuves, avec notamment le cas du 98 cours Docteur Long (photographie n°3 du corpus), cité par l’adjointe au maire comme un exemple d’intégration harmonieuse des nouveaux immeubles dans leur environnement.

1.1.2. Une morphologie particulière reconnue par le PLU (Plan Local d’Urbanisme) mais un déficit de patrimonialisation

Le PLU est un outil réglementaire important pour les communes : il dicte les règles fondamentales régissant le bâti, et conditionne ainsi les nouvelles constructions, ce qui nous intéresse particulièrement pour Montchat. S’il s’applique à l’échelle de la métropole, le PLU reconnait dans les orientations particulières dédiées aux arrondissements les spécificités de certains quartiers. Ainsi, Montchat est reconnu par la modification n°11 de 2015 du PLU comme étant constitué d’un « tissu composé de maisons de ville et de petits immeubles », avec « une large part de constructions récentes plus élevées » formant « une entité quasi-villageoise ». Le PLU prévoit ainsi une orientation générale pour le quartier de Montchat, qui est de « préserver et respecter le patrimoine bâti dans les projets de constructions ». L’importance des jardins privés et des espaces verts publics est également reconnue, puisque le quartier est qualifié de « poumon vert ».

Cependant, ces spécificités architecturales et morphologiques ne sont pas reconnues par le PLU qu’à titre d’ « orientations générales », et Montchat est marqué par un déficit de la patrimonialisation de son bâti : le quartier ne fait l’objet d’aucun classement en ZPPAUP (Zone de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager), contrairement au quartier de la Croix Rousse, où le bâti particulier a été classé dans son intégralité. Il s’agit de la revendication principale de l’opposition municipale que d’obtenir le classement du bâti montchatois typique dans le PLU, à l’occasion de la révision de 2016.

1.1.3. Une vie locale dynamique et relativement autonome

L’« esprit village » de Montchat se retrouve donc dans le discours des acteurs qui décrivent le quartier, comme présent inhérent à la nature du bâti, à la morphologie du quartier et à une architecture spécifique. Selon les habitants du quartier interrogés et le CIL (Comité d’intérêt Local), on peut également lier cette vision de Montchat comme un « quartier- village » à des pratiques urbaines. Tout d’abord, ces pratiques sont conditionnées à la mobilité au sein du quartier et à son accessibilité, jugée insuffisante par les habitants et le CIL, tandis que Mme. Panassier évoque un renforcement de « l’entre-soi » au sein du quartier, du fait de son relatif enclavement. Le manque de transports en commun renforce l’importance de la voiture, et accentue les difficultés liées au stationnement, partie majeure des revendications des habitants en terme d’aménités. L’ « entre-soi » que l’on peut voir dans le quartier serait donc davantage subi que souhaité pour une majorité de la population, notamment pour les ménages sans véhicule.

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Le caractère villageois de Montchat se fait notamment sentir dans le quartier, par ses animations ponctuelles et son offre de commerces. En effet, selon M. Bérat, « la tradition festive est très forte, comme avec les commémorations, notamment celle du 8 mai, ou encore les Fêtes de Montchat au printemps ». L’offre de commerces est également révélatrice des habitudes de consommation de ses habitants. Les commerces d’alimentation et de proximité (boulangerie, coiffeurs, services…) constituent l’essentiel de l’offre commerciale, permettant une activité commerçante importante dans les principaux centres secondaires (place Ronde, cours Docteur Long et place Henri), tandis que les autres types de commerces (boutiques, grandes surfaces) se situent hors du quartier, en périphérie ou en centre-ville de Lyon.

1.2. « L’esprit de Montchat » comme image de marque

1.2.1. Montchat dans la presse immobilière, une attractivité reconnue à l’échelle régionale

La morphologie urbaine particulière de Montchat est reconnue à une échelle dépassant celle de l’agglomération lyonnaise. En effet, la presse immobilière nationale traite régulièrement de Montchat dans ses encarts dédiés à l’immobilier, en titrant sur son aspect villageois et ses maisons individuelles nombreuses. C’est ainsi que L’Express titrait en 2003 « les attraits d’une vie de quartier », et en 2010 « Montchat, Monplaisir, le prix de la tranquilité », insistant sur la présence de nombreuses maisons individuelles, sur les prix élevés de l’immobilier et sur les aménités du quartier, en terme de commerces et de proximité avec le centre-ville. L’article de 2010 affirme ainsi qu’ « à l’est de la ville, les quartiers Montchat et Monplaisir sont réputés pour leur calme et la tranquillité de leurs rues proprettes, bordées de maisons de ville, de résidences à taille humaine et de jolis pavillons donnant sur des jardins. » Ce traitement du quartier par la presse régionale révèle l’importance de l’image renvoyée par Montchat, au delà de l’agglomération lyonnaise seule. La visibilité ainsi donnée au quartier par ces articles renforce son attractivité, et de fait la pression immobilière. Ce discours général sur les spécificités montchatoises valorise le quartier, mais n’apporte pas le recul nécessaire pour prendre en vue les effets de l’attractivité de Montchat, notamment des constructions immobilières neuves, sur le caractère villageois ainsi mis en avant, et de fait très prisé. Il convient donc d’opérer un rapprochement d’échelle, et de s’intéresser au quartier tel qu’il est perçu et pratiqué par ceux qui le créent et l’habitent, notamment pour dégager les réalités de « l’esprit village ».

1.2.2. Une utilisation marketing par les promoteurs immobiliers

La performativité du discours tenu sur Montchat par l’ensemble des acteurs, institutionnels comme habitants, se constate dans les panneaux dédiés aux chantiers et projets immobiliers des promoteurs. En effet, on constate un vocabulaire et une rhétorique reprenant les éléments de « l’esprit-village » de Montchat, afin d’attirer les potentiels acheteurs, intéressés par l’image de Montchat comme quartier à part au sein de l’agglomération lyonnaise, et l’on peut également supposer qu’il s’agit d’une démarche visant à rassurer les habitants sur le fait que la nature de leur quartier n’est pas remise en cause par ces nouvelles constructions.

Les panneaux des promoteurs, visibles depuis l’espace public, reprennent donc un discours mettant en valeur la proximité ou l’intimité tout en signalant aux habitants leur intérêt pour des terrains à vendre, qu’ils soient occupés par des constructions ou non. C’est ainsi que l’on retrouve « une résidence intimiste » au 105 cours Docteur Long, « 9 appartements seulement ! » au 17 rue Julien, et des « 13 appartements de standing » au 14 rue Charles Richard. Les faibles densités de ces petits collectifs est mise en avant comme un gage de respect du caractère villageois du quartier, par des promoteurs qui se tournent vers une clientèle familiale et aisée recherchant des biens de qualité dans un quartier attractif.

Cependant, le discours des promoteurs sur le quartier est efficace : Mme. Panassier souligne en effet que « la grande majorité des logements construits est achetée avant ou pendant la construction », et le quartier attire un très grand nombre de programmes immobiliers neufs et en projet. Ces nouveaux bâtiments, parfois éloignés de l’habitat existant à Montchat, à l’architecture contemporaine et aux densités plus élevées, cristallisent une contestation des riverains et de l’opposition municipale, qui y voient la disparition progressive des caractéristiques du quartier, et l’accroissement des problématiques liées aux capacités d’accueil des services et infrastructures.

2. La question de la densification à Montchat : une volonté municipale et métropolitaine de « dynamiser » le quartier

Le caractère architectural spécifique de Montchat est donc unanimement reconnu par l’ensemble des acteurs, y compris municipaux, de couleur socialiste. Néanmoins, ceux-ci mettent parallèlement l’accent sur l’expansion démographique que connaît le quartier, qui nécessite selon eux de conduire des politiques de densification de l’habitat, tout en respectant les spécificités montchatoises. Le succès d’une telle entreprise, qui se veut conforme à la politique métropolitaine lyonnaise visant à éviter l’étalement urbain dans le respect du développement durable, est néanmoins sujette à débat.

2.1. La densification, une nécessité selon les acteurs municipaux

De par ses spécificités architecturales et sa « vie locale » particulière telle qu’elle est véhiculée dans les discours, Montchat est ainsi un quartier attractif (selon le recensement effectué par la mairie en 2007, le 3e arrondissement lyonnais comptait 90 000 habitants en 2007, en augmentation constante depuis 1982 (Source INSEE)et cette attractivité, que la municipalité cherche par ailleurs à renforcer, engage nécessairement une réflexion sur l’augmentation de l’offre de logements, Pour cela, deux solutions semblent envisageables : favoriser l’étalement urbain d’une part, ou densifier les espaces déjà urbanisés de l’autre. Il n’est pas étonnant que ce soit la seconde option qui ait été retenue.

Tout d’abord, le choix de la densification correspond en effet à la volonté de « dynamiser » le quartier tout en préservant le caractère spécifique de Montchat, plutôt que de diluer ses qualités architecturales dans un étalement urbain incontrôlé. La dynamisation du quartier passe ainsi par l’accueil de nouveaux habitants, lesquels représentent autant de consommateurs potentiels pour les commerces de proximité, en stimulant l’activité. Cette densification de l’habitat doit logiquement s’accompagner d’un effort en termes d’infrastructures et de services à la population, dont la mairie est consciente. Mme Panassier donne ainsi l’exemple du remplacement de l’ancienne MJC par une MJC de taille plus importante près du Château, l’emplacement de la première ayant ensuite été alloué au chantier de la villa Bonnand (un programme de résidences d’habitation situées au 16 et 18 rue Bonnand, allant du T1 au T5 et prévues pour fin 2017): ici, la densification s’accompagne directement d’une mesure d’accroissement des services, à la jeunesse. Quant au stationnement, question centrale de par la part primordiale jouée par la voiture dans les déplacements au sein du quartier, il est présenté par la mairie comme suffisant dans la mesure où les nouveaux logements sont accompagnés de places de parking privées en sous-sol.

La « dynamisation » par la densification et les services qui sont censés l’accompagner constitue donc le principal argument de la mairie pour justifier les projets urbanistiques qui transforment Montchat. Un second point d’argumentation insiste sur la nécessité de penser à l’échelle de la métropole et non pas seulement du quartier, afin de conduire des politiques urbaines dans le respect d’une intelligence globale du territoire.

2.2. Inscrire la densification dans une problématique métropolitaine plus globale

En second lieu, la densification correspond ainsi à une stratégie adoptée au niveau de la métropole lyonnaise dans son ensemble, comme en témoigne par exemple le SCOT 2030 de l’agglomération (SCOT 2030), approuvé en 2010, et qui présente « le choix du développement » sous l’angle, précisément, de la densification : «  le SCOT prévoit l’accueil de 150 000 habitants supplémentaires et la création de 7 500 logements neufs par an d’ici 2030. Pour cela, il propose un modèle de développement urbain plus « intensif », avec une priorité forte à la densification des secteurs les mieux équipés et les mieux desservis en transports en commun. ». Mme. Parnassier rappelle que cette politique concerne Montchat au même titre que les autres quartiers, voire en fait plus qu’ailleurs, puisque les faibles densités actuelles du quartier le dotent d’un fort potentiel en termes de densification de l’habitat. En effet, ce serait-ce qu’à l’échelle du troisième arrondissement, Montchat fait partie des endroits les moins saturés, avec les alentours de la Part-Dieu, contrairement aux quartiers plus anciens situés près des quais, qui auraient plus de difficulté à accueillir une proportion importante de nouveaux logements.

Dans cette perspective, la métropole est un acteur important qui intervient directement dans certains projets à Montchat. Par exemple, de nouveaux projets rue Saint-Isodore sont conduits par le bailleur social Lyon Métropole Habitat. Il faut à ce propos rappeler que la densification concerne en partie la construction de nouveaux logements sociaux, bien que cet aspect ne soit pas celui que la mairie met le plus en avant, malgré l’assurance de la quatrième adjointe au maire que la mixité sociale ne représente pas une crainte en soi dans le quartier pour ses habitants actuels. A l’échelle de la métropole, « le choix de la solidarité » est ainsi l’un des « trois choix fondateurs » du SCOT pour 2030, à côté du « choix de l’environnement », et du « choix du développement » évoqué plus haut (source : SCOT 2030) : « Pour renforcer la diversité sociale, le projet prévoit un parc de logement social plus abondant et géographiquement mieux réparti ». Ici encore, Montchat ne fait pas exception.

2.3. Les modalités de la densification

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Les élus municipaux mettent néanmoins l’accent sur la nécessité de conduire cette politique de densification en respectant les traits architecturaux et la basse densité du quartier. On peut mettre en regard ce discours, avec la carte des destructions observées, projets et chantiers à Montchat que nous avons réalisée.

Ainsi, la municipalité assure ainsi mener une politique équilibrée entre les caractéristiques historiques du quartier et le nécessaire développement, à la fois en terme de logements et de vie locale. Cela passe notamment par l’élaboration et la révision du PLU, qui fixe les modalités quantitatives de la densification, via un règlement qui définit les conditions d’urbanisation de chaque parcelle du territoire et qui sert de référence obligatoire pour l’instruction des demandes d’occupation et d’utilisation du sol (la section du PLU du Grand Lyon qui concerne le 3e arrondissement est consultable à cette adresse : PLU Lyon 3e). Néanmoins, Mme Panassier reconnaît que le PLU est « à améliorer », dans la mesure où il ne suffit pas à préserver le quartier d’une densification irraisonnée. La mairie intervient alors directement auprès des promoteurs, afin de négocier avec eux sur l’aspect général de l’immeuble envisagé, de manière à l’inscrire dans une certaine continuité architecturale, tout en évitant la construction d’immeubles trop massifs, qui jureraient avec le caractère villageois du quartier. L’immeuble construit à l’angle du Cours Docteur Long et de la rue Louis illustre cela, puisque, sous la pression des habitants, la mairie a finalement réussi à négocier que le promoteur place l’immeuble en retrait, et y ajoute un porche de style ancien avec une glycine et un muret, de sorte que « l’esprit du lieu » soit conservé tout en augmentant sa capacité d’accueil. Ainsi, selon elle, « on a l’impression que [l’immeuble] a toujours été là ».

De plus, la stratégie argumentative de la municipalité s’appuie sur l’existence d’un « esprit de Montchat » qui voudrait ainsi par exemple que les habitants soient peu demandeurs en nouvelles infrastructures de transports en commun, dans une logique qui privilégierait « l’entre-soi » à l’intérieur du quartier plutôt que l’arrivée de nouveaux habitants. En se basant sur ce présupposé, l’absence de réels projets de desserte (notamment la « navette interne », mise en avant par l’opposition comme un projet toujours mentionné mais jamais concrétisé) devient justifiée, malgré les besoins infrastructurels créés par l’arrivée de nouveaux habitants du fait des politiques de densification. Le caractère mesuré et réfléchi des politiques de densification est ainsi mis en avant par la municipalité dans la révision décennale du PLU, qui permet de classer certaines adresses et espaces verts sur des critères patrimoniaux ou architecturaux, tout en identifiant les points de développement du quartier.

Les stratégies argumentatives des acteurs municipaux s’appuient donc sur le registre de la nécessité pour justifier les politiques menées de densification dans le quartier, tout en insistant sur les conditions dans lesquelles ces politiques sont menées, censées respecter l’identité de quartier, sans oublier que Montchat s’inscrit dans une métropole dont il s’agit également de respecter les grandes orientations. Néanmoins, autant l’opposition à la mairie, portée par les Républicains, qu’une certaine partie des habitants, démentent ces logiques en montrant les méfaits de la densification, ou critiquant les modalités de sa mise en œuvre.

3. Une opposition multiforme à la densification du quartier

Depuis quelques années, la densification de Montchat et sa contestation ont pris une place plus importante dans les médias et dans le débat politique. Le changement de visage du quartier encouragé par la mairie n’est en effet pas soutenu par tous, en particulier par l’opposition républicaine et les habitants.

3.1. Des changements architecturaux controversés

Bien que les opposants ne s’opposent pas frontalement à la densification, beaucoup contestent la modification parfois brutale qu’elle peut apporter au paysage de Montchat. La disparition de maisons ou de pavillons caractéristiques du début du xxe siècle XXème siècle est considérée par beaucoup comme une perte patrimoniale très dommageable pour le quartier, qui y perdrait son identité. Ainsi, pour M. Bérat, conseiller municipal d’opposition et conseiller de la Métropole, la densification serait menée dans une proportion trop importante à Montchat. Selon lui, les nouveaux immeubles construits sont très uniformisés, et conduiraient à une “banalisation” du quartier, qui deviendrait impersonnel. Pour un couple d’habitants, M et Mme X, ce n’est pas tant la construction de nouveaux immeubles que la hauteur de ces derniers qui pose problème. En effet, si le bâti de coeur d’îlot atteint une hauteur de R+2, celui de certaines rues peut comporter un plus grand nombre d’étage et paraître très massif par rapport aux maisons qui le jouxtent. Dans la révisions du PLU, il est proposé qu’un certain nombre de maisons “remarquables” soient patrimonialisées, mais d’après les opposants, la proportion de maisons patrimonialisées ne suffirait pas à préserver l’identité du quartier.

3.1.1. Des infrastructures inadaptées à la densification

Une autre critique fréquemment adressée à la densification par les habitants est l’inadéquation entre les services proposése et l’augmentation de la population. Le quartier est relativement mal desservi par les transports en communs, à l’exception de ses extrémités, relativement plus proches des stations de métro ou de tramway. Cela conduit beaucoup d’habitants à posséder une voire deux voitures par foyer, ce qui selon M. et Mme X est une nécessité pour vivre à Montchat. Cependant, due fait de l’augmentation de la population, les places de parkings sont désormais saturées, un phénomène amplifié par la création de pistes cyclables qui en ont supprimé un certain nombre et par l’instauration d’un stationnement payant autour de l’hôpital E.Herriot. Le CIL avait proposé plusieurs alternatives de transports (navette interne au quartier, cyclo-pousse pour les personnes âgées), mais qui n’ont pas abouti ou n’ont pas eu le budget pour être maintenues. D’après le président du CIL, M. Frize, il n’y a plus assez de places dans les crèches, écoles maternelles et primaire et collège du quartier, ce qui conduit certaines familles à envoyer leurs enfants loin du lieu d’habitation. Ainsi, si les équipements scolaires sont adaptés à l’échelle de Lyon, ils ne le sont pas forcément à l’échelle du quartier, où une répartition inadaptée des élèves par la carte scolaire prend le relai. Enfin, selon M. Bérat, le quartier manque aussi d’infrastructures de sport et de loisirs qui serviraient à la population jeune.

3.1.2. Les difficultés liées à l’arrivée de nouvelles populations

L’intégration des nouveaux arrivants par les habitants de Montchat ne va pas non plus de soi. Si la plupart des acteurs démentent la réalité d’un entre-soi montchatois, M. Frize , le président du CIL avec qui nous avons eu un entretien, reconnaît néanmoins que les prix du foncier aujourd’hui à Montchat entraînent une certaine sélection parmi les familles qui viennent s’installer. La mixité sociale ne serait donc pas forcément bien vue par les habitants. D’un côté certains déclarent que l’arrivée des nouvelles populations “cs’est bien passée”, d’autres au contraire que ce sont des populations qui “ne s’intègrent pas” ou “n’ont pas de savoir-vivre”, d’après l’entretien réalisé avec un couple d’habitants. A ce discours de rejet s’ajoute une plainte concernant des nuisances et des actes de délinquances qui seraient causés par les populations en questions, plus particulièrement les jeunes. D’après M. Bérat, des conflits pour l’espace public se créent ainsi, particulièrement les soirs d’étés. Il s’agit majoritairement de nuisances sonores qui opposent les personnes occupant la place publique à celles résidant dans les logements alentour. Pour autant, il semble un peu excessif de parler de délinquance pour un quartier où les incivilités ou la dégradation restent relativement rares, surtout au regard de l’ensemble de Lyon. De plus, M. Frize souligne que les jeunes responsables des nuisances viennent aussi de l’extérieur de Montchat. Un problème plus pertinent est celui des commerces, puisque les populations des logements sociaux n’ont pas le même pouvoir d’achat et les même pratiques que les populations des maisons par exemple, et ne peuvent donc pas faire vivre les commerces des quartiers tout en étant obligé de s’approvisionner sur de plus longues distances. Or peu de magasins franchisés de type grande surface viennent s’installer dans le quartier.

3.2. Une contestation hétérogène entre les habitants et l’opposition

Les habitants du quartiers sont des acteurs importants de la contestation. Celle-ci s’exprime souvent à une échelle très locale, une rue par exemple, contre un projet urbain jugé inadapté. Les contestations peuvent prendre la forme de pétitions, de recours juridiques ou d’articles dans les médias. Ainsi, M. et Mme X se sont opposés à un projet d’immeuble de huit étages dont les fenêtres allaient donner sur le jardin de leur maison. D’après eux, beaucoup de gens sont gênés par les immeubles, mais tous ne se mobilisent pas à moins d’être directement concernés, et éprouvent une forme de résignation. Le dialogue avec la mairie serait difficile, et en l’absence d’un contre-pouvoir, les habitants peuvent se sentir dépossédés de leurs droits de décisions concernant l’avenir du quartier. Les changements se faisant sous forme de partenariats public-privé, ce sont les promoteurs qui décident de l’apparence du bâti, sans que les habitants puissent intervenir. C’est donc la mairie qui est visée par les contestataires, puisque c’est elle qui délivre les permis de construire et qui maîtrise le PLU. L’immeuble du 12 Ferdinand Buisson, qui a soulevé une grande contestation de la part des habitants du fait de sa hauteur élevée, celle-ci étant due à une dérogation au PLU accordée par la mairie au promoteur, en est un bon exemple.

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Le discours porté par l’opposition politique veut se faire le relai de cette contestation plutôt ponctuelle. Pour M. Bérat, conseiller municipal d’opposition et conseiller de la Métropole, cette politique urbaine amène le quartier à un point de rupture, et les modifications dans le paysage urbain font perdre à Montchat son identité. Le discours de l’opposition, même s’il ne réfute pas spécifiquement l’idée de densification ou d’évolution du quartier s’oppose dans les faits à presque tous les points de l’action municipale. D’un certain côté, la force et la médiatisation de cette opposition ont cependant pu conduire à une forme de prise de conscience collective de la part des habitants, même si celle-ci reste limitée. Lors d’une réunion organisé par M.Bérat sur le PLU, près de 40 personnes seraient venues spontanément, ce qui montre l’intérêt qu’a pu soulever cette question auprès des habitants et qui montrerait que la contestation est plus qu’une “affaire de voisins”. L’opposition se placerait alors comme un relai de communication et d’information par rapport à une mairie qui semble en faire défaut. En effet, des habitants opposés à ces projets ont déclaré avoir été informés de la révision du PLU par l’opposition mais non par la mairie, et pouvoir parler beaucoup plus facilement à M. Bérat qu’aux élus du 3ème 3e arrondissement. Dans ces conditions apparaît le double problème d’un manque de communication et de concertation entre la mairie et les habitants, mais aussi de la possibilité d’une récupération politique par l’opposition.

La question était aussi de savoir si la mobilisation des habitants dans des associations, comme le Conseil d’Intêret Local du quartier, pouvait devenir des lieux de débat de la contestation, et aussi d’une plus grande participation. M. Frize, son président, explique cependant que le CIL, en tant qu’association, est apolitique et ne peut pas intenter d’actions en justice. Son rôle est donc de faire remonter les doléances à la mairie, mais il n’a pas de de position officielle concernant la densification du quartier. Ainsi, si l’association est effectivement un relai de discussion des différents problèmes que rencontre le quartier, comme le manque de transports, de places dans les écoles ou de nuisances sonores, il n’a cependant aucun pouvoir effectif, et ne peut que soumettre des propositions à la mairie, cette dernière lui ayant refusé de participer à la délivrance des permis de construire. L’association a par exemple fait des demandes pour faire classer des maisons, pour créer de nouveaux moyens de transports, mais toutes n’ont pas abouties. Le CIL a aussi formé une commission PLU, qui a réuni une dizaine de personnes, proposant de végétaliser des toits et de créer des trames vertes dans plusieurs endroits du quartier. Pour M. Frize, il est surtout regrettable que ce ne soit pas les habitants du quartiers qui puissent décider de son devenir, et que de bonnes idées se perdent dans l’opposition frontale qui a lieu dans le débat politique.

Conclusion

L’analyse des discours tenus par les différents acteurs présents sur le quartier de Montchat permet donc de percevoir la forte tension entre deux conceptions très différentes du quartier, entre un quartier historique et à forte valeur patrimoniale pour ses habitants, et une quartier permettant une densification de logements à l’échelle de la métropole lyonnaise. Cette question d’échelle, entre la stratégie d’urbanisme de la métropole, relayée par la mairie du 3e ème arrondissement, et la volonté des habitants de conserver un cadre de vie préservé et des aménités, est révélatrice des enjeux qui sont à l’oeuvre dans la plupart des contestations urbaines quant aux changements profonds dans des quartiers à forte identité (Bacqué, 2006).

La révision du PLU, qui sera votée en 2016, permettra d’éclairer les aboutissements de ce débat, avec une première mesure donnée à la patrimonialisation, dont l’ampleur permettra de juger de la réalité de la concertation locale et de la prise en compte des intérêts locaux face aux stratégies urbanistiques métropolitaines.

Bibliographie :

Marie-Hélène BACQUÉ , « En attendant la gentrification : discours et politiques àa la Goutte d’Or (1982-2000) », Sociétés contemporaines 2006/3 (no 63), p. 63-83.

CHOAY Françoise, MERLIN Pierre, Dictionnaire de l’urbanisme et de l’aménagement, Quadrige, PUF, 2015.

CLÉMENÇON Anne-Sophie, La ville ordinaire, généalogie d’une rive, Lyon, 1781-1914, co-édition Parenthèses-CAUE Rhône Métropole, 2014.

 

Webographie

SCOT 2030: plaquette du schéma de cohérence territoriale élaboré par l’agglomération lyonnaise en 2010 pour l’horizon 2030

Mairie du troisième arrondissement : site institutionnel de la mairie du troisième arrondissement de Lyon.

Ensemble pour Lyon : site du parti Les Républicains, sur lequel intervient P. Bérat, principal opposant à la densification portée par les politiques municipales

http://katrimmo.com/programme/7-a-montchat: site du programme immobilier « 7 à Montchat » rue Julien, dont la livraison est prévue pour 2018, intéressant pour sa description du quartier et la présentation qui est faite du projet (s’intégrant bien dans l’existant…).

http://www.slcpitance.com/programme-neuf-montchat-lyon-3-haut-de-gamme: site de SLC Pitant, promoteur du programme immobilier « Villa Bonnand », rue Bonnand

 

Articles de presse

CHABERT Sandrine, 2015, « MONTCHAT Aménagements, stationnement, nouveaux immeubles : ce qui va changer », Le Progrès – Lyon, 28 octobre 2015.

« Préserver le caractère de Montchat », Le Progrès (Lyon), 18 août 2013.

CAIRON Dominique, « Montchat, un quartier qui n’est pas oublié », Le Progrès – Lyon, 14 mars 2007.